Jean-François Daguzan et Jean-Luc Marret, maîtres de recherche, FRS
Le récent assassinat de Michel Germaneau par des hommes de l'AQMI, groupe local, influencé par une idéologie globale, a montré à la fois le côté protéiforme de la menace terroriste et les difficultés qu'il peut y avoir pour un Etat quel qu'il soit à protéger ses ressortissants en certaines régions du monde.
Pour autant, l'activité jihadiste au Sahara n'est pas nouvelle. Elle existait dès les années 1990 avec le GIA et se conjugue sur la zone sahélienne avec des phénomènes de crise locaux (revendications politiques, autonomistes, économiques et trafics). Tout comme les pratiques de combat dans le désert, que les méharistes français observèrent dès le XIXe siècle. Le milieu détermine les modalités du combat. La pratique de prise d'otages, en particulier occidentaux, pourrait paradoxalement indiquer un certain affaiblissement du jihadisme algérien : sans possibilité concrète sérieuse de frapper le sol européen et en déclin dans le nord de l'Algérie, AQMI ne peut que tirer profit du développement d'activités au Sahara, véritable océan de sable et de pierres aux frontières difficilement contrôlables. Les liens avec les nouvelles routes de la drogue sont également à prendre en compte.
Les pratiques terroristes se renouvellent tout en restant globalement semblables. Comme la prise d’otages, l’attaque de moyens de transports existe depuis longtemps – d’abord la prise d’otages de bateaux puis d’avions – et ensuite leur destruction avec leurs passagers. Le terrorisme a donc de longue date cherché à frapper l'aviation civile [Voir Jean-François Daguzan, « Le terrorisme maritime : éléments de réflexion sur une menace (majeure ?) », Sécurité globale, n°8, été 2009, pp. 117-128.]. L’idée de projeter un avion chargé d’explosif sur des cibles immobilières appartient aux terroristes russes au tout début du XXème siècle et le premier détournement d'avion remonte aux années 1930 [Jocelyne Fenner, Les terroristes russes, Editions Ouest-France Université, 1989, p. 173.]. Le terrorisme d'essence palestinienne perfectionna sensiblement la pratique. Le terrorisme d'Etat des années 1980 frappa durement l'aviation civile au moyen d'explosifs plastiques embarqués frauduleusement à bord des avions (Lockerbie, Airbus UTA), etc. Les réseaux jihadistes ont à plusieurs reprises tenté de rééditer un attentat de l'ampleur de celui du 11 septembre 2001. En vain jusqu'ici. Les réseaux jihadistes tentent donc actuellement de tester la sûreté de l'aviation civile en lançant des individus agissant seuls et ayant le plus souvent un niveau opérationnel plutôt basique.
Par ailleurs, les problématiques de dé-radicalisation/désengagement des terroristes, en particulier jihadistes, paraissent en ce moment aboutir à des projets concrets parfois ambitieux. L'Allemagne vient ainsi de lancer un programme qui permet aux participants, aux familles et à leurs amis d'obtenir de l'aide et un soutien par téléphone ou par courriel. Dénommé "HATIF" – téléphone en arabe, et Heraus Aus Terrorismus und Islamistischem Fanatismus, soit « Quitter le terrorisme et le fanatisme islamiste », son principal but est de prévenir la violence au nom de l'islam. Le service, à la fois en arabe et en turc, n'entend pas empêcher les personnes concernées de croire en l'islam, mais plutôt fournir des solutions concrètes pour s'extirper des milieux radicaux. Ainsi, les candidats et leur famille recevront une aide au déménagement et un soutien pour la recherche d'emploi.
La France n'entend pas pour l'instant adopter de semblables mesures. Il est à cela plusieurs raisons: le refus politique d'une prise en compte du radicalisme, le grand nombre de prisonniers potentiellement concernés, l'absence d'imams suffisamment « prestigieux », le poids de l'Histoire (en particulier plusieurs amnisties ont montré par le passé des résultats contre-productifs), etc. Le présent dossier propose, entre autres, une analyse des positions françaises sur la déradicalisation et la radicalisation, en particulier dans les prisons [voir Jean-Luc Marret, « Prison De-Radicalization and Disengagement: The French Case »].
Cependant, le terrorisme jihadiste global n’est pas la seule menace de cette nature même si elle en est, pour l’heure, la manifestation la plus violente. Le terrorisme indépendantiste demeure, notamment au Pays Basque (pour s’en convaincre il suffit de noter les démantèlements qui se succèdent). Mais les formes de terrorisme et de violence politique plus classiques ne sont pas non plus à ignorer : le terrorisme catégoriel visant la défense d’une cause particulière (animaux, environnement, contre l’avortement, « front anti-radar », etc.) existe bel et bien [Jean-François Daguzan, « Le terrorisme sociétal », Revue de la gendarmerie nationale, n° 232, septembre 2009, pp. 75-80.]. Enfin, on s’est beaucoup interrogé en France, en 2008 et 2009, sur le retour du terrorisme « autonome ». Or, si l’attentat lui-même a presque disparu de ces outils, l’ultra-violence collective des Black blocs et réseaux ou organisations similaires, annoncent peut-être un retour que la crise devrait alimenter de plus en plus.
Pour faire le point (sur les terrorismes), la FRS propose un dossier composé de publications de natures différentes : articles, comptes rendus de séminaires, etc. Il a pour but d’offrir au lecteur le champ d’analyse le plus vaste possible face à une menace latente aux multiples facettes.